Life of Pi...

Petit rappel des faits :
Après la sortie du Long dimanche de fiançailles, la Fox m’avait contacté pour savoir si je serais intéressé par l’adaptation du roman de Yann Martel : Life of Pi.
Guillaume Laurant et moi avons donc écrit le scénario, que le studio a immédiatement adoré (ce qui est rare à Hollywood).
Nous avons donc pu commencer une période de pré-préparation : visite des studios Baja de la Fox au Mexique, qui ont été créés pour tourner le film Titanic, repérages en Inde, en compagnie de mon chef opérateur Bruno Delbonnel, du décorateur Nigel Phelps, avec qui j’avais fait Alien: Resurrection, et de Iaian Smith, Line producer, réputé pour son expérience du pays, ayant produit La Cité de la joie, tourné en Inde.

Rapidement, un devis est tombé : 85 millions de dollars ! Beaucoup plus que ce que la Fox attendait…
Afin de chiffrer le film plus précisément, Iaian Smith m’a demandé de réaliser un storyboard, ce qui fut fait.
Nigel Phelps m’a fait fabriquer une maquette de l’embarcation, des modèles réduits du tigre et de l’enfant, articulés, comme pour un film d’animation, qui m’ont permis de visualiser la mise en scène grâce à mon caméscope et de trouver ainsi les cadres.
Durant 4 mois et demi, j’ai fait plus de 3.000 photos, disposant mes personnages sur une mer de tissus miroitants, les shootant sous tous les angles, choisissant les images et montant les séquences sur mon ordinateur… Le tout totalement redessiné par Maxime Rebière…

Malheureusement, plus nous avancions dans la précision de l’étude, plus le chiffre de 85 millions de dollars se confirmait.

Tom Rothman, alors patron de la Fox, me demanda si je pouvais produire ce film en Europe. J’ai donc pendant 2 mois et demi avec mes équipes, effectué une étude en Europe. Nous avons imaginé la construction de machines à vague, la construction d’un bassin dans les studios espagnols d’Alicante, trouvé les solutions techniques à la problématique tigre/enfant/mer… Travaillé avec Thierry Leportier, le célèbre dresseur de fauves, pour finalement arriver à la somme de 59 millions, ce qui était le souhait de la Fox.
Malheureusement 59 millions… d’euros… Or nous étions à la pire période de différence entre l’euro et le dollar. Ce qui fait que nous en étions toujours au même…

J’ai alors entendu cette phrase qui m’a donné le frisson : repartons à zéro et trouvons de nouvelles solutions ! J’ai à ce moment-là compris que je pourrais très bien passer le reste de ma vie à travailler sur ce projet.

J’ai donc signifié à la Fox mon désir de faire un autre film (Micmacs à tire-larigot), leur proposant de me réatteler à Pi après ce film, sachant que la technologie aurait évolué, et que le film peut-être deviendrait plus facile à réaliser.

Finalement, le projet a été confié à Ang Lee, et sort sur les écrans français dans quelques jours. Malheureusement, Ang Lee a fait ce que j’aurais fait à sa place, il n’a pas lu notre scénario et a fait réécrire sa propre adaptation.

Un bref coup d’œil sur IMDB, me confirme ce que je savais : le film a finalement coûté 120 millions de dollars ! Il est vrai que Ang Lee a tourné à Taiwan, qui apparemment aurait beaucoup investi dans le film…

Pour me consoler, je me répète que tout metteur en scène doit avoir fait : Un film en noir et blanc, un grand succès, un film américain et un film… qui ne s’est jamais fait. Après tout Tim Burton a travaillé pendant un an sur un Superman qui ne s’est jamais fait, Kubrick sur Napoléon et Marcel Carné sur L’Ile des enfants perdus

Ce qui est sûr, c’est que si L’Odyssée de Pi s’avère être un bon film, ça va m’énerver, et si c’est un mauvais film, ça va m’énerver…
Ce qui me console, c’est que si j’avais persisté, le film sortirait probablement aujourd’hui, et j’aurais passé sept ans sur un film de commande…

Voici quelques images du storyboard que j’avais fait, d’abord en photos, puis redessinées par Rebière.

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