Où l’on constate que c’est bien le projectionniste qui a le final cut…

Un de mes grands sujets de râlerie est ce qu’il advient de nos films une fois terminés. John Ford disait que c’est le projectionniste qui a le “final cut”, c’est-à-dire le pouvoir sur le montage final. Je me souviens avoir vu une projection de Life of Brian dans les années 80. Un directeur de salle avait coupé sauvagement dans la copie le plan où Brian apparaît à la fenêtre la bite à l’air.
Dans les années 70, une ouvreuse m’avait raconté les dix dernières minutes des Contes des mille et une nuits, parce que le projectionniste avait coupé la fin du film pour cause de “retard”. A Nîmes, pendant la scène du baiser d’Amélie, supposée être émouvante et passer dans le plus profond silence, le projectionniste avait pris le micro pour demander au propriétaire de la voiture immatriculée… de bien vouloir bouger son véhicule.

Cette fois encore, quelques anecdotes Micmacquiennes… A Auxerre, dans le cinéma appartenant à Jean Labbé, “patron des exploitants”, le son était réglé sur 4, alors que le niveau réglementaire est de 7. “Ici, c’est comme ça, sinon les gens rouspètent” m’explique le projectionniste. A Lille et à Lyon, lors des avant-premières, coupures de son. “Ah désolé, on a fait une fausse manœuvre”. Dans les salles Pathé, les bandes annonces passent sur des écrans géants dans un format tout raplapla. A Genève,  les affiches dans le hall sont éclairées en vert. Au congrès des exploitants à Deauville, les professionnels blasés regardent le film en passant leurs textos !
Me revient à l’esprit la blague de mon ami Jean-Jacques Zilberman, réalisateur, ancien propriétaire du magnifique cinéma “Max Linder” sur les grands boulevards à Paris : “les exploitants sont des loueurs de fauteuils dans des locaux, et leur travail consiste à vendre des popcorns aux gens qui viennent louer ces fauteuils”.

Où l’on comprend pourquoi le réalisateur revint de Toronto tout guilleret

C’est donc au festival de Toronto qu’aura lieu la première vraie présentation devant un vrai public.
Les tests ont lieu l’après-midi dans un immense opéra vide de 3.000 places où aura lieu la projection du soir. Au troisième balcon, l’écran est tellement loin qu’il ressemble à celui de mon IPhone…
Le projecteur numérique provisoire envoie une image sublime, le son cartonne. On s’apprête donc à partir satisfaits quand Frédéric Brillion, mon coproducteur, fait la remarque qu’on a pas vu les sous-titres. Consternation chez les techniciens. Ils ne connaissent pas encore le numérique et n’ont aucune idée comment les faire apparaître. Il faudra faire venir le spécialiste de chez Dolby pour sauver le coup. Encore une “première” qui aura frôlé la catastrophe !
Dany Boon et moi avons plus ou moins convenu d’un petit numéro pour présenter le film.

Quand nous entrons en scène, je suis consterné, la salle est au tiers vide. En fait je réalise qu’ils ne louent plus les mauvaises places, c’est-à-dire justement le troisième balcon et les côtés…
Dany fait son show, je fais le clown blanc. Il leur explique qu’il ne faut pas confondre Micmacs et “Big Mac”. Ça fait bizarre d’être à cinquante centimètres de l’artiste en représentation, face aux lumières aveuglantes, dans son élément comme un poisson dans l’eau. Le résultat est visible sur YouTube. (cliquez ici)
Super projection. Les spectateurs de Toronto sont réputés être très chaleureux. Déjà Amélie en 2001 (la veille du 11 septembre) avait été un triomphe. Ils rient 10 fois plus qu’en France lors des tests. La vanne du flic imitant De Niro fait exploser le cinéma.
Première promotion. On attaque donc direct en anglais. Dur ! J’apprends à traduire “c’est de la récup…”
le soir, dîner des réalisateurs. Je retrouve mes amis Yan Kounen, Guiseppe Tornatore, et félicite Samantha Morton pour sa performance dans The Messenger que nous avons primé à Deauville.
Le lendemain matin, projection dans une plus petite salle de seulement… 1.000 places. Bondée, standing ovation, questions-réponses…
Mon agent américain, Jeff Berg, le patron d’ICM, une des trois grosses agences d’Hollywood, me dit que si je passe par New York, un acteur voudrait me rencontrer : il s’appelle Al Pacino.
Toronto est aussi un grand marché du film. Les derniers territoires qui restaient à vendre achètent Micmacs. Comme tous mes films depuis Delicatessen, celui-ci aura le privilège d’être vu dans le monde entier. Bonne chance pour sous-titrer les dialogues de Remington !
Les premiers articles paraissent dans la presse américaine. Hyper positifs.
Amélie avait gagné le grand prix du public, Micmacs gagne le troisième prix. je ne l’apprendrai qu’incidemment, félicité par un journaliste à Londres. Personne n’avait jugé utile de m’en informer !

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Photo © C.J. LaFrance/Getty Images

Micmacs à tire-larigot : le livre

Après le succès du livre Le fabuleux album d’Amélie Poulain, voici Micmacs encyclopédiques à tire-larigot, le nouveau livre de Jean-Pierre Jeunet et Guillaume Laurant, avec Phil Casoar et Bruno Léandri.
Micmacs encyclopédiques à tire-larigot est une armoire bourrée de tiroirs recelant des détails authentiques insoupçonnés. de quoi en tirer une véritable encyclopédie.

156 pages, éditions Les Arènes, 34,80 euros, disponible.

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