En 1987, Michael Cimino était en train de monter son film Le Sicilien. Ses monteurs son américains avaient un mal de chien à sonoriser des piétinements de chevaux paniqués. Trop de confusion, trop de poussière, trop de sabots, impossible de synchroniser correctement les bruits sur les images.
La monteuse française du film, Françoise Bonnot, a alors sans rien dire au réalisateur, apporté la séquence à Paris et l’a montrée à Jean-Pierre Lelong, génial bruiteur.
En deux trois mouvements, Lelong assisté de son fidèle Mario a, tel Terry Gilliam dans Sacré Graal, cogné l’un contre l’autre, peut-être pas des noix de coco, mais quelques instruments improbables sortis de ces valises surréalistes…
Cimino fut tellement épaté qu’il confia tout le bruitage du film à Jean-Pierre.
Pour avoir un aperçu du travail tellement extraordinaire de Lelong, jetez un œil à ce court extrait du making off du Long dimanche de fiançailles.
Dans les années 60, 70, n’existaient pas les “sound designer” équipés d’ordinateurs. C’est le bruiteur qui faisait en studio tout ce qui n’avait pas pu être capté sur le vif ou qu’il fallait refaire pour replacer dessus les dialogues dans les langues étrangères.
Mais là où Jean-Pierre Lelong était un pur génie, c’est que son travail ressemblait à un numéro du Cirque du Soleil. En effet, non seulement il recréait des sons et des bruits totalement réalistes à partir d’objets n’ayant rien à voir, mais il avait la particularité unique de le faire directement parfaitement synchro.
Il regardait une, deux fois l’image, repérait l’emplacement du son à exécuter sur des chiffres qui défilaient sous l’image, et c’était parti.
Il était rare qu’il s’y reprenne à deux fois. Il broyait des cagettes pour défoncer un ponton pour La Cité des enfants perdus, tordait les roues d’un cady récupéré dans un supermarché pour faire grincer la balançoire d’Amélie, jetait des écrous sur des peaux de tambour pour les cachets recrachés de Mme Interligator dans Délicatessen ou piétinait d’un pas de danseuse le parquet du studio, chaussé de ses vieilles godasses pourries, dont même Charlot n’aurait pas voulu… pour apporter la subtilité comme par enchantement des pas de Mathilde la boiteuse courant dans les herbes.
Et tout ça pile synchro au 24e de seconde !
C’était tout un spectacle de le voir. Mais sur les midi, quand la faim se faisait sentir, il ne s’agissait pas de gargouiller, car le bougre qui avait un sacré caractère vous fusillait d’un “Estomac” !
Jean-Pierre a fait tous mes films. Les dernières années étaient moins joyeuses, car la technique avait rendu un peu obsolète son génie de la synchro. Mais il a travaillé toute sa vie pour les plus grands. Il a même gagné un Oscar, a travaillé sur plusieurs James Bond, toujours avec le même sens du perfectionnisme.
Son dernier film aura été TS Spivet, et je suis fier de lui être resté fidèle.